ESTHÉTIQUES du QUOTIDIEN au JAPON, Jean Marie BOUISSON, IFM/REGARD, 2010

 MONO NON AWARE:

On peut comprendre une différence fondamentale entre la culture japonaise et la culture européenne en comparant les expressions

  • « mono no aware » ((物の哀れ)  l’empathie envers les choses » ou « la sensibilité pour l’éphémère»

et

qui reflètent chacune deux paradigmes qui ne mettent pas l’accent sur les mêmes réalités. La plus grande différence est peut-être celle de l’emphase.

  • Le christianisme, tout en nous rappelant l’impermanence et la vanité des choses de ce monde, ne s’étend généralement pas sur le thème et préfère mettre l’accent sur la dichotomie entre péché et vertu.
  • Le bouddhisme japonais, au contraire, s’est préoccupé de la nature fuyante du monde phénoménal
  • Tandis que 物の哀れ , « mono no aware », se pose dans la description résignée et la contemplation, memento mori pousse à l’action, et donc au carpe diem.
  • « mono no aware » ((物の哀れ), qualifie l’impermanence de tout ce qui existe, y compris l’impermanence de la splendeur.
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L’impermanence devient une condition sine qua non de la vraie beauté, celle qui vous bouleverse :

la fleur dont le vent éparpille les pétales est plus émouvante encore que la fleur en plein épanouissement.img_4725

La mélancolie et l’éphémère sont des éléments essentiels à la perception du sensible.

 

 

Pour éc220px-Torii.svghapper à ces affres de la finitude, les plus philosophes se tournent vers les notions de la religion primitive japonaise, liée aussi à sa mythologie,  « la voie des dieux » que l’on nommera plus tard d’un nom chinois : shintô ((神道).

Elle permet de regarder et de considérer la valeur sacrée de la beauté, si bien qu’une sorte de culte du Beau finit par répondre à la notion de fugacité, apportant un contrepoint d’éternité salvatrice.

 

 WABI SABI :

ob_47a27d_imageConcept esthétique, ou disposition spirituelle, dérivé de principes bouddhistes zen, ainsi que du taoïsme.

 

Le wabi-sabi relie deux principes :

  • Wabi : solitude, simplicité, mélancolie, nature, tristesse, dissymétrie…
  • Sabi : l’altération par le temps, la décrépitude des choses vieillissantes, la patine des objets. Le goût pour les choses vieillies, pour la salissure, etc.

C’est l’essence même de la beauté japonaise, la simplicité tranquille et la patine de l’âge.2da28de34f464fcd702d249eb4cbf287

Le WABI, regroupe les notions d’ombre, de vide suggestif, de simplicité des matériaux. La simplicité apparente permet de mettre en avant la richesse de l’esprit.

Le SABI, représente la patine du temps, le renoncement à l’éclat de la beauté première, la résignation du temps qui s’écoule inexorablement.dsc02056

Le wabi-sabi a perdu presque toute influence dans le Japon moderne, le terme IKI  reste couramment employé dans les conversations ou les médias.

Dans cette acception contemporaine, IKI est à rapprocher des notions occidentales de « cool » ou « classe », dont il se distingue toutefois.

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Est IKI ce qui est beau, mais pas voyant, discret mais pas transparent, simple mais pas frustre.images

Les images symbolisant de l’esprit IKI seraient celles d’un ccrépuscule, ou l’automne.

Saisir la cruauté du monde sans renoncer à la beauté des choses impermanentes.

Au Japon est raffiné ce qui ne se voit pas du tout, ou demande un effort pour être vu, rien de brillant, de clinquant ou de démonstratif, mais une force spirituelle qui témoigne de la beauté.

C’est plutôt dans l’absence qu’il faut chercher, dans le vide entre deux formes, l’intervalle, la pause, le repos, la marge. Dans l’absolu.

Le Beau doit rester inachevé, en devenir.

La beauté japonaise est une forme d’ascèse, elle demande un effort pour être appréciée, et ne peut réellement exister que cachée. Équivoque, elle passe par la contrainte pour laisser croire à l’harmonie naturelle, car le geste maîtrisé affirme la force de l’esprit sur la vulgarité du geste démonstratif.

Le corps devient alors un geste et non une enveloppe, une politesse et non une morphologie.

RAFFINE:

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« Raffiné » signifie débarrassé de ses impuretés. Autre aspect essentiel de la civilisation japonaise : la purification, vers la sacralisation. Pureté et propreté sont les principes essentiels de la beauté.  D’où les rituels du bain, la netteté sans faille du kimono, le fantasme de la peau blanche. Au niveau social : l’ordre, la ponctualité, la bienséance, la convenance, la conformité.

 

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« Le kimono japonais ne montre pas la forme du corps, il enveloppe l’être et la personnalité d’une seule étoffe, comme d’un seul bloc, souple.

Le vêtement reste fondamentalement l’espace situé entre la peau et le tissu ». (Issey Myake)

C’est le corps qui s’adapte au vêtement, tandis qu’en Occident on crée le vêtement sur le corps.

Le kimono se porte de manière croisée sur la poitrine avec toujours le côté gauche sur le côté droit.

Ce qui n’est pas à confondre avec le côté droit sur le côté gauche qui est réservé aux morts.

GESTUELLE :

La cérémonie du thé est une suite d’étapes, nombreuses,  précises et délicates à effectuer…

N’oublions pas la fermeture totale de l’Archipel à toute influence étrangère durant plus de deux siècles :

le sakoku  (fermeture du pays ») est le nom donné à la politique isolationniste japonaise, instaurée lors de la période Edo (précisément entre 1641 et 1853) par Iemitsu Tokugawa, shogun de la dynastie des Tokugawa. Le terme de « sakoku » ne fut créé qu’au XIXe siècle.

La politique d’isolement commença par l‘expulsion des missionnaires chrétiens, puis par la limitation des ports ouverts aux étrangers, l’interdiction d’entrer ou sortir du territoire pour tout Japonais sous peine de mort, l‘expulsion de tous les étrangers et la destruction des navires capables de naviguer en haute mer.

Chanoyu-Japanese-Style-Tea-CeremonyLa Cour, qui se vautre dans le luxe outrancier, occupée à constater la vacuité et l’éphémère de la vie, érige chaque activité en rituel, codifiant chaque geste afin de l’amener vers la perfection.

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Comme si cette gestuelle ritualisée dessinait un cadre rigide qui occupe les mains mais permet à l’esprit de se libérer, de s’élever, tout en donnant l’occasion de se dépasser.

 

Les FEMMES :

  • La relation entre les femmes et les hommes, au Japon est inégalitaire et discriminante pour les femmes.
  • Ni l’histoire ni la religion ne peuvent expliquer cette situation. Bien que les rôles de chacun soit définis, les hommes sont totalement absents de la vie familiale.
  • Plus de chômage pour les femmes, en cas de licenciement, elles seront les premières, mains d’œuvre bon marché et flexible, peu regardante sur les contrats, pas de structure de garde pour les enfants, très mal vu de concilier vie professionnelle et familiale, pour une femme, si elle le veut, elle devra se battre deux fois plus qu’un homme.
  • La femme est faite pour servir son mari, ses enfants, et plus tard, les parents de son mari : okusan,  奥さん la femme du « fond » de la maison.
  • Difficile, pour une femme de construire sa propre personnalité, d’exprimer ses sentiments.
  • Il n’y a pas eu de mai 68 au Japon, ni de révolte des femmes pour l’égalité des sexes…
  • Peut-être ont-elles trouvé aujourd’hui une émancipation à travers la consommation ? La révolution avec la carte bleue ?

Le TEMPS :

Il n’y a pas de continuité du temps,

seulement une succession  d’instants et d’intervalles qui surgissent dans un espace transitoire

il y a trois temps :

le présent des choses passées,

le présent des choses présentes, et

le présent des choses futures.

Notion extrême- orientale du temps, particulièrement japonaise du temps, un éternel présent (Nelly DELAY, « Le jeu de l’éternel et de l’éphémère », ED Philippe Piquier, 2004)

Une ligne temporelle ne peut exister puisque la finalité même de la philosophie bouddhiste, en accordant corps et esprit dans la tension d’une gestuelle parfaite, est la vacuité !

Saisir l’infini dans le fini :

Les montagnes lointaines
Dans les prunelles
De la libellule.

Kobayashi Issa ( 1763-1828 )

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Il y a deux discours sur le temps :

  1. Celui du charme mélancolique de la beauté, l’éphémère, la transformation de la nature, le rythme des saisons, les matériaux fragiles (papier, paille)…l’impermanence de chaque chose.
  2. L’immuabilité de chaque chose, jardins sec, de pierres et de sable, l’épure, le minimalisme, l’esthétique zen, l’infini figé.

Ces deux conceptions s’opposent ….et forment a base de la philosophie et l’esthétique orientales.

« Le Japon est le pays où le contraire est Vrai. »

(Robert Guillain)

 

L’espace et le vide :

« Le vide est tout puissant, car il peut tout contenir. »

(Kazulo Okukara, « Le livre du thé », 1906)

Dans une maison japonise, c’est le vide qui délimite les contours d’une pièce, à la place des plafond et des murs selon le point de vue occidentale.

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